Les "queules" du Mont Beuvray

Cet article explore les mystérieux hêtres tordus du Mont Beuvray, surnommés les « Queules », qui ne sont pas une anomalie naturelle, mais le résultat de la pratique ancestrale du plessage utilisée par les paysans morvandiaux pour créer des clôtures vives. Ces arbres, aujourd’hui emblématiques, racontent l’histoire de l’ingéniosité rurale et la résilience de la nature après l’abandon des pratiques agricoles au XIXe siècle.

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Au cœur du Parc Naturel Régional du Morvan, sur les hauteurs sacrées du Mont Beuvray, le regard est inévitablement attiré par d’étranges silhouettes végétales. Là, où se dressait jadis l’imposant oppidum gaulois de Bibracte, se tiennent des hêtres aux formes noueuses et contorsionnées, que les locaux nomment les « Queules ». Loin d’être une simple curiosité botanique, ces arbres au port difforme et aux branches rebelles incarnent un véritable mystère qui relie l’histoire de la nature morvandelle à l’ingéniosité et à la rudesse de la vie paysanne d’autrefois.

Des haies vives au patrimoine vivant

Que sont donc ces Queules ? L’explication se trouve non pas dans une maladie ou une anomalie génétique, mais dans une pratique agricole ancestrale, aujourd’hui quasiment disparue dans la région : le plessage.
Au XIXe siècle, les paysans du Mont Beuvray — confrontés à un climat rigoureux et à des sols peu fertiles — utilisaient les jeunes hêtres pour délimiter et clôturer leurs parcelles de cultures et de pâturages. Pour créer une haie efficace et durable, ils pratiquaient une taille sévère des jeunes arbres, coupant les branches puis les entrelançant (tressant) de manière très serrée. Cette technique contraignait l’arbre à pousser en hauteur, tout en limitant et en tordant ses ramifications latérales. La haie ainsi créée, appelée « haie plessée », formait une barrière vive, impénétrable au bétail et durable sans nécessiter l’achat de matériaux coûteux.

Quand la nature reprend ses droits

Le destin des Queules a basculé avec l’exode rural. Lorsque les paysans du Morvan ont commencé à déserter les champs les plus ardus du Beuvray au début du XXe siècle, ces clôtures végétales ont été abandonnées.
C’est là que l’énigme se révèle : sans l’entretien et le tressage constants de l’homme, les hêtres ont repris une croissance libre. Cependant, le traumatisme initial était tel qu’ils ne pouvaient plus retrouver une forme classique. Pendant plus d’un siècle, ils ont continué à s’élever, conservant en leur bois les cicatrices et les torsions forcées de leur jeunesse.

Aujourd’hui, les Queules forment un véritable « paysage fantôme ». Elles ne sont plus des clôtures fonctionnelles, mais elles marquent l’emplacement exact des anciennes parcelles agricoles, dessinant dans la forêt un plan cadastral sculpté par le temps. Elles racontent la résilience de ces hommes et de ces femmes qui ont su tirer parti de ressources limitées.

Visiter les Queules : marcher dans l’histoire

Pour l’amateur d’histoire, l’intérêt des Queules est double :

Leur aspect visuel unique : Elles offrent des clichés spectaculaires, surtout sous la brume morvandelle ou en hiver. Leurs formes tourmentées sont un sujet de choix pour les photographes.

Le lien historique : Elles sont un pont tangible entre la vie quotidienne des paysans du XIXe siècle et le grand site de Bibracte, capitale gauloise. Elles rappellent que le Morvan est une terre vivante, façonnée par toutes les époques.

Se promener sur les sentiers du Mont Beuvray, c’est donc marcher au milieu de ces sentinelles végétales, un musée en plein air qui témoigne de l’ingéniosité et du respect de la nature dans l’histoire rurale. Les Queules sont plus que de simples arbres tordus ; elles sont un fragment d’âme du Morvan, un patrimoine précieux à préserver et à raconter.

À découvrir : Mont Beuvray

par Laurent

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